Dimanche 5 juillet 2015
Habitués aux aléas de la météo en Méditerranée, nous nous sommes promis que pendant ces vacances, nous allons naviguer tranquillement, là où le vent nous mène… Sans projet particulier, sans tempêtes et avec aussi peu de moteur que possible. Du coup, ça sonnait peut être un peu prétentieux, quand les gens nous demandaient « Vous partez où pendant vos vacances? » et on répondait : « On ne sait pas encore…». Mais c’est vrai, qu’en quittant le port vers 14 heures ce beau dimanche, on ne sait pas encore quel cap assigner à notre pilote automatique. Les Baléares ou la Corse ? On y va pour la Corse ! Et nous voilà en route vers la plus belle île du monde et son magnifique port de Bastia.
Durant ces deux, trois derniers jours avant notre départ, plusieurs personnes se sont un peu moqués de nous, comme quoi on va commencer notre beau périple par 10 jours de pétole – ça veut dire la tempête du beau temps avec zéro de vent. Franchement, même si je n’aime pas particulièrement naviguer au moteur, j’ai trouvé qu’un ou deux jours tout cool seraient plutôt bienvenus, histoire de se mettre bien en selle, pour braver ensuite les vagues et les ouragans. Mais je ne l’ai pas dit à voix haute, car une « voileuse » est censée d’adorer les rafales du vent, gonflant les voiles tels les ballons de baudruche et l’écume de vagues gisant sur le pont. Je fais la moue en disant « Mais, non… »
Une fois partis, je suis assez confiante et sereine en m’installant à ma place habituelle, sur la banquette bâbord, avec mon appareil photo sous la main et quelques bons bouquins, en donnant les ordres au plus jeune matelot (Yes!) d’enlever et de ranger le pare-battages. On voit le port s’éloigner peu à peu et un petit, mais tout petit brin de nostalgie s’installe, de quitter notre terre d’accueil et nos amis si chers… On dépasse tranquillement le Lion de Mer et là… le vent se met à souffler en atteignant quelques 18–20 N (environs 35 km/heure pour les néophytes), ce qui n’est pas énorme en soit, mais assez surprenant quand on a prévu un voyage à plat, au moteur. Patrick met les voiles (au sens propre du terme) et le bateau se couche sur un flanc, en rangeant de façon radicale l’intérieur du bateau. C’est pour cette raison que je n’aime pas particulièrement les débuts de nos traversées, car le bruit de choses qui « se mettent en place » selon Patrick, ou plus simplement qui tombent, m’enlève une partie de la joie de navigation.
Heureusement, juste après le Dramont le vent se stabilise à 15 N, nous permettant de tester la nouvelle voile, pour l’instant étendue tout mollement sur le pont dans son emballage rouge et bleu. Ne nous sentant pas trop concernées avec Julie par le bricolage de son père à l’avant du bateau, on le laisse se débrouiller tout seul comme un grand avec le dépliage et le montage de la voile de 120 m carrés et on se concentre sur notre nouveau jeu, plutôt morbide : reconnaître uniquement par le bruit ce qui vient de tomber. Un livre, un verre (heureusement en mélamine), des couverts… Patrick nous interrompe au bout d’un quart d’heure : il a démêlé tous les coins de la voile et il ne nous reste que la hisser maintenant en haut du mât. Je me porte volontaire et j’attache le bout supérieur de notre gennaker à la drisse de spi. Oh-hisse, oh-hisse … au début c’est fastoche mais plus la voile grimpe, plus c’est difficile pour mes pauvres biceps et triceps, habitués en temps normal uniquement à l’effort de porter une fourchette et un couteau jusqu’à ma bouche. Ma la vision de mes bras bien galbés et musclés me donne de forces : Allez, oh-hisse !
Je dois admettre que je ne connaît pas vraiment grande chose en technique de voile et en tout ce qui concerne les différents méandres de la position face au vent ou contre le vent… du coup je me fie à l’expérience de Patrick dans la matière. Quand il me dit qu’il faut hisser la voile sur le tribord pour la mettre sur le bâbord, je le crois… à peu près. En fait entre le deux il faut tout d’abord l’enrouler, et la nouveauté est, que le système d’enroulement rappelle drôlement le système d’étendage du linge des bonnes-femmes italiennes : on tire d’un coté et on pousse de l’autre, sans passer par le winch. Patrick, toujours à l’avant du bateau, tire sur une partie du bout et la voile s’enroule sur elle même comme par magie. Tout souriant et content de lui il arrive à faire deux pas, quand le gennaker se déroule tout seul. « Ho ! » s’écrie-t-il « Qu’est-ce que c’est cette … » Il cherche des yeux quelqu’un sur qui il pourrait potentiellement jeter la faute, mais toutes les deux, on est sagement assises dans le cockpit, regardant avec beaucoup d’intérêt ses exploits. Il recommence sa tâche, quand à nouveau la voile devient indisciplinée et se déroule par ses propres moyens. Énerve pour de bon, Patrick commence à se gratter la tête, le regard perdu quelque part en haut du mât – le signe qu’il est en train de réfléchir très intensivement. « Je sais ! » crie-t-il « J’ai oublié de mettre l’émerillon en haut ». Eh oui, le petit conseil, qu’on peut facilement traduire à toutes les activités même en dehors du nautisme : si vous montez une pièce, un meuble ou une voile et à la fin, il vous restent dans le sac quelques éléments dont vous n’avez pas eu besoin durant le montage, ça veut dire que vous vous êtes bien plantés quelque part. C’est aussi simple que ça. Mais bon, la fatigue doit y être aussi pour quelque chose…
Au bout d’une demie heure, une descente et un re-hissage de gennaker, ça y est, on avance à quelques 6-7 N, assez confortablement installés dans le cockpit. Il est temps de manger un bout et on commence par un petit risotto coloré, que j’ai eu le temps de préparer pendant notre « escale » à Port-Fréjus plus tôt dans la journée. Notre voyage commence pour de vrai…
Même si la première traversée paraît toujours un peu longue, la nuit arrive assez rapidement et avec elle, une toute petite appréhension s’installe au creux du ventre (surtout le mien) : c’est une chose d’avancer au moteur sur l’eau plate comme un lac, et toute une autre de naviguer à la voile dans les abysses de la nuit, entourés par un bruit impressionnant des vagues. Mais bientôt la lune se lève, éclairant notre chemin tel un énorme lampadaire et les émotions se calment. Il y a déjà quelques années, nous avons pris avec Julie l’habitude de dormir dehors pendant la navigation. Nous installons alors nos couvertures et nos oreillers sur les deux banquettes, pour se lover ensuite sur nos places, protégées du vent, comme dans des cocons. Et là, une belle surprise nous attend : Patrick a fait modifier la bâche du bimini, nous protégeant du soleil le jour et de l’humidité durant la nuit, en ajoutant une ouverture transparente à la hauteur de nos têtes, pour qu’on puisse voir les étoiles… Quelle merveilleuse idée : en un seul mouvement on enlève le scratch et là, tout le firmament et à notre porté, nous rappelant notre place dans l’immensité de la mer, de l’océan, de l’univers… Et on sombre dans le sommeil paisiblement…
Bon, pour ma part je n’ai pas super bien dormi, car le petit ordinateur que Patrick a emprunté à Julie et dont il se sert pour la navigation, est tombé en panne et temporairement nous n’avions plus d’AIS (le système qui nous permet de voir les autres bateaux et d’être vu par eux). Les quarts de nuit étaient alors de rigueur. Je ne sais pas d’ailleurs pourquoi on les appelle les « quarts » de nuit, car en ce qui nous concerne, les « huitièmes de nuit » serait le terme beaucoup plus approprié, avec une huitième pour moi, et le reste pour Patrick… Cela veut pas dire quand même que je dors profondément. Je comate plutôt, en veille active, prête à bondir du lit au moindre danger.
Heureusement cette nuit le danger ne se présente pas et le matin arrive tranquillement en dessinant sur la ligne de l’horizon les contours familiers de la Corse. Cela ne veut par pour autant dire qu’on est arrivés. Il nous faut encore quelques heures pour différencier le maquis des côtes rocheuses et distinguer les habitations et autres traces de la présence humaine. Au bout de moment on voit au loin un petit regroupement de maisons – Centuri, une de communes du Cap Corse, bien connu pour son paysage et son odeur. L’histoire de village qui « sent mauvais » interpelle Julie (qui est déjà venue ici plusieurs fois mais apparemment à 9 ans la mémoire est plus que sélective) et on décide d’y faire un tour.
Quelques autres voiliers et deux ou trois petits bateaux à moteur flottent déjà au mouillage devant le petit port de pêche de Centuri. On jette l’ancre à notre tour et on procède au dépliement du zodiac, enroulé sur le pont après son exploit à Port-Fréjus. Il faut le gonfler et comme c’est bien l’heure de déjeuner et tous les voisins sont attablés en train de manger ou au moins de prendre l’apéro, je suis un peu gênée de mettre en route le gonfleur électrique. J’opte pour la solution manuelle (« peduelle » devrais-je dire plutôt), en comptant de bien faire travailler les muscles de mes mollets, mais Patrick est impatient. « On n’a que pour 2 minutes, t’inquiètes. ». Tu parles, dès que le bruit du gonfleur retentit dans le silence de la crique, et toutes les têtes se tournent vers notre direction, je commence à me sentir un peu mal à l’aise. Je plaque le gonfleur de toutes mes forces sur le pont, en espérant d’atténuer un peu son bruit, mais la coque semble amplifier d’avantages les vibrations dérangeantes. J’essaie alors de le tenir dans mes mains mais ses fâcheuses vibrations se propagent alors dans mes bras, et même plus loin, rendant ma voix toute saccadée « Il fauuuut peeeeuuut êtttrrre leee couuuvrrrrir » réussie-je à articuler. « Bonne idée » dit Patrick « Julie, ramène une serviette de bain stp ». On étouffe le gonfleur dans la serviette et on le positionne dans le zodiac. Ça va beaucoup mieux. En quelques minutes notre embarcation gonflable est prête pour la mise à l’eau.
On soulève le zodiac par dessus les filières et on le jette dans la mer. Juste avant qu’il ne touche la surface du grand bleu Patrick s’écrie : »Que quelqu’un attrape le bout ! Trop tard.». J’esquisse un petit sourire narquois en lui montrant fièrement le bout de l’amarre dans ma main : « Mais qu’est-ce que tu ferais sans moi, hein ? ». En ce même moment on entend un petit « click » et le mousqueton reliant mon bout à l’annexe s’ouvre, laissant ce dernier flotter sur l’eau, libre comme l’air… Oups ! « Je t’avais dis de le tenir ! » s’époumone Patrick. Pas la peine de discuter, pour lui expliquer que je l’ai tenait, mais qu’il s’est échappé tout seul, etc…. J’ai une meilleure idée : cette formidable invention qui s’appelle « les enfants ». « Julie ! » crie-je à l’attention de notre progéniture – « Saute vite avant que le zodiac ne s’en aille ! ». Notre petite tête blonde me regarde d’abord attentivement pour s’assurer que je ne plaisante pas, puis pars à l’arrière du Carpe Diem, pour préparer sa descente dans l’eau imminente. Et oui, le mot « urgence » ne fait pas partie du vocabulaire de Julie. Il n’y a jamais de feu – notre fille remet l’échelle et tranquillement, sûrement pour éviter le choc thermique, s’immerge dignement dans l’eau turquoise. Elle fait d’abord quelques mouvement du chien qui se noie, avant de reprendre en brasse, plutôt correcte, la poursuite de notre embarcation. Heureusement qu’il n’y a pas de vent, car même par ce magnifique beau temps, l’annexe s’est déjà éloigné de quelques 2-3 mètres du bateau. En voyant Julie peiner à ramener le zodiac je lui propose de l’aide « Attrape le bout » dit-je en lançant l’amarre avec le mousqueton, très concentrée pour ne pas viser sa tête. Au moment où elle réussi à le saisir, je ne sais pas comment, l’autre bout s’échappe de ma main. Décidément ce n’est pas ma journée aujourd’hui. Julie se débat dans l’eau pour tenir le zodiac d’une main et le bout avec le mousqueton dans l’autre, avant que Patrick n’attrape pas tout cet attirail et ne l’attire vers l’échelle. Je ne dis rien pour ne pas aggraver mon cas…
Remis de ces quelques émotions on part visiter le port de Centuri. L’odeur de la vase stagnante au fond, mélangé aux évaporations provenant des filets de pêche séchant au soleil, sont assez importants, mais la vue devant nos yeux vaut le coup de quelques désagréments. La lignée de petites embarcations des pêcheurs locaux, le petits restos au cachet énorme, les panneaux en bois flotté… C’est mignon et tellement pittoresque…On s’élance dans la découverte des petites ruelles (au nombre de 2), avec leur boutiques, faisant office de boulangerie, épicerie fine et magasin des souvenirs en même temps, en on décide de faire notre tour habituel vers l’église et son point de vue exceptionnel, situé en haut de village. Plongées avec Julie dans une discussion animée, on s’aperçoit soudainement que son père effectue une étrange sorte de danse de St Guy, sautant comme un lapin et courant au petits pas sur le bord de la route. Au moment où il fait un grand plongeon vers un tas de vielles feuilles et d’herbes desséchés tout s’explique : il a oublié ses chaussures et la surface de la route cramée au soleil, lui brûle le pieds. « Je ne peux plus » déclare-t-il « Je fais demi-tour » et il repart, toujours en sautillant, vers le port. On ne tarde pas à le rejoindre, malheureusement sans Kiki, qui a préférée de traverser le port à la nage, en passant tout d’abord par une large zone de vase … avec sa laisse.
On reviens vers notre cher Carpe Diem et on lève l’ancre. La première étape de notre périple n’est pas encore achevée. On contourne le Cap Corse au moteur, avec une petite envie de mouiller juste après la Girolata, le coin subissant plus souvent les rafales à 200km/h que les tempêtes du beau temps comme aujourd’hui. Mais on a encore de la route devant nous et pour passer le temps, on s’adonne à des activité diverses comme la première leçon de djembé sur le pont avant, ou la photographie de nos reflets dans l’eau « repassée », sans un moindre pli (description de Julie).
La nuit tombe déjà quand on arrive enfin vers le vieux port de Bastia. On jette notre ancre juste derrière, dans la zone de mouillage. Cette fois on est tout seul, si on ne compte pas un tout petit bateau à moteur, dérivant lentement avec le moteur réglé sur son régime le plus bas. On s’étale sur les banquettes, heureux mais exhaussés. C’était un bon bout de route, qu’on vient de parcourir et un parfait début pour notre périple 2015. Une petite voix à l’accent corse nous extirpe brutalement de cet état de Nirvana : « Excusez-moi, Messieurs dames. Mon copain a plongé il y a une demi heure et je ne le voit toujours pas ressortir. Vous pourriez regarder d’en haut, si vous le voyez ? ». Ma gorge se serre en avalant ma salive – « Comment ça, il n’est pas sorti ? » Je réfléchit à deux milles à l’heure en essayant me rappeler si j’ai entendu un bruit bizarre provenant de notre hélice… Et comment ça regarder d’en haut ? Il veut qu’on monte en haut du mât ? La nuit ? En pleine mer ? Mon cerveau bouillonne sous mes cheveux, mais je me déplace sur le pont avant en scrutant la mer. Pas facile de distinguer quoi que ce soit avec les lumières de la ville se reflétant dans l’eau. Soudainement Julie donne alerte : « Regardez, là bas. La grosse tête qui sort de l’eau ! ». « Eh non, ma chérie » la reprend Patrick doucement « C’est une bouée pour amarrer un bateau… ». Mais la direction était bonne : le copain de notre Corse affolé était tout près de rivage en train d’ajuster son masque et son tuba… « Merci Messieurs dames. Bonne soirée » nous lance ce dernier avant de s’éloigner en râlant sur son camarade. Ouff, ma tension semble retomber : on n’a écrasé personne ! On peut dormir tranquillement…
2 Comments
C’est avec beaucoup de plaisir que je parcours le récit de vos péripéties, sans elles ce ne serait pas vous^^
Je ne peux m’empêcher de me demander de combien d’heures sont faites vos journées?! La navigation, les prises de photographies, le blog, l’intendance quotidienne (oui, on cuisine aussi à bord), la gestion mécanique et technique….
Le résultat est une belle famille, pauvre cap’taine entouré de trois matelottes;-), qui donne autant de plaisir qu’elle s’ en accorde.
Les photos sont vraiment belles, l’écriture pleine de charme.
What else?
…… amusez vous bien et pensez à la jalouse qui comme Hélène attend votre retour.
Bon vent !
Viens nous rejoindre oh belle Hélène 🙂 Les journées ne sont pas assez longues et le blog a pris un peu de retard. Mais on arrive avec de nouvelles aventures… Bisous et à très bientôt <3 <3 <3