Vendredi 10 juillet 2015
La nuit nous paraît bien courte. Même si l’ancre à l’air de tenir, la proximité imminente des rochers et le vent qui change de force et de direction, nous stressent au point de nous réveiller toutes les 10 minutes. Vers 5 heures du matin et complètement épuisés par les émotions de la soirée, on s’accorde quelques instants du sommeil un peu plus correct. Hélas, pas pour longtemps.

Le nouveau jour se lève…
A 6h pile le réveil de mon portable déchire le silence matinal avec une cacophonie des rythmes de la jungle. Arrachée brutalement du monde des rêves, je sursaute avant d’appuyer frénétiquement sur les boutons de mon téléphone pour arrêter le bruit avant qu’il ne réveille le reste de la famille Gros. Le soleil vient seulement de se lever au-dessus des rochers de Giglio et avec un effort hors norme et la volonté de fer, je m’extirpe de ma couverture toute douillette pour éterniser cette vue magnifique sur le capteur de mon Nikon. Et ensuite, hop, à nouveau sur la banquette, la tête enfuie dans mon oreiller, prête à finir la nuit dans les bras du Morphée.

Toutes seules au fond de la baie…
7h30 – une odeur du café fraîchement moulu m’incite à ré-ouvrir lentement mes yeux… mince, c’est juste de la Ricoré, mais bon, servie sous mon nez, dans un mug chaud et fumant, c’est quand même un parfait début de journée. La petite baie n’a plus rien de menaçant à présent mais malheureusement à cause de la panne du guindeau nos plans viennent de se modifier et l’urgence est maintenant de commander une nouvelle pièce et surtout trouver une adresse pour la faire livrer. La vue de Kiki fixée sur la végétation luxuriante de ce coin de l’île nous rappelle qu’elle aimerait poser se pattes sur la terre ferme, avant le départ et on désigne Julie en tant que volontaire commis d’office, pour entreprendre le périlleux périple à bord du zodiac attaché avec un très long bout, jusqu’au petit ponton. Mais notre matelotte ne fais pas le poids contre le courant et la lourdeur du bout, qui en tombant au fond la retient sur place. Pas très motivée, je monte dans le zodiac à mon tour et avec mes mains (et oui, on n’a pas mis les rames), j’essaie de rapprocher notre embarcation du petit ponton de pierre. Désespérée par le manque complet d’efficacité de notre part, Kiki se jette à l’eau et parcourt les dernières 20 mètres à la nage.

Maman à la rescousse
Au bout de quelques instants on la voit perchée sur les rochers, toute contente, avec la queue remuant de droite à gauche et surtout, pas du tout décidée de revenir vers le zodiac. On a beau crier, supplier, appâter, rien n’y fait… couchée sur ses pattes avant, avec les fesses en haut, Kiki nous contemple d’un œil farceur. Pas d’autre moyen, je me glisse dans l’eau pour aller chercher la fugitive, et en menaçant la chienne d’un peu plus près, je réussi à la convaincre de redescendre dans l’eau. Julie nous rejoint en barbotant, et telle une joyeuse compagnie, on revient tranquillement au bateau.

Pas très glamour cette photo… On va la laisser toute petite…
Mais le moment de rigolade est vite terminé car à présent on doit s’occuper de notre panne. On décide de partir vers le continent, persuadés que si on réussi à joindre le fabricant dans les heures qui suivent, on pourra recevoir notre pièce dès le lendemain. On se rue sur le pont avant pour lever l’ancre à l’ancienne : avec la force de nos bras. Ou plutôt ceux de Patrick car je ne me fais pas trop d’illusions : ce n’est pas les trois tours de winch qui vont compenser ma pratique du sport complètement inexistante. Je choisis cependant le rôle aussi important et en plus très tactique : récupérer la chaîne soulevée par Patrick et la ranger dans la baille à mouillage sans me coincer les doigts. Accompagnés par le souffle saccadé de mon mari, la chaîne file entre nos mains, faisant sentir chaque mètre de la profondeur. Clairement, ce n’est pas la solution durable pour notre mouillage. Il faut qu’on répare le guindeau.

La petite baie de Giglio au matin
Notre escale sur le continent est Porto Ercole. Éloigné de Giglio de quelques 6-7 MN, ce petit port possède un très grand avantage : une zone peu profonde, juste devant, pour mouiller. Je reprend la manœuvre manuelle en solo et cette fois, j’arrive à planter l’ancre dans le fond du premier coup, améliorant nettement mon taux de réussite aux yeux du capitaine. On peut tranquillement quitter le navire et partir à la recherche d’une adresse postale valable. Comme d’habitude en Italie, le ponton d’accueil est impossible à trouver et on s’amarre juste à coté du bateau de la Guardia Costiera, la garde des côtes. Les Carabinieres sont en train de discuter devant leur bureau et pendant que Patrick part pour leur expliquer notre situation, Julie, Kiki et moi entamons la visite des lieux. Il faut admettre que Porto Ercole a l’air d’un village fantôme : les rues désertes, les volets des maisons fermés à quatre tours, personne en vue… On avance d’un pas rapide dans une chaleur suffocante en essayant de trouver un endroit ombragé quand Julie me demande « Il faut peut être voir où il est papa ? » Elle n’a pas tort, ce serait bête de se perdre avant le déjeuner, surtout que je n’ai pas pris mon portefeuille. Je reviens sur mes pas juste à temps pour voir Patrick s’éloigner avec l’annexe en direction du mouillage. «Non » je marmonne dans ma barbe « il nous a quand même pas oublié… ». Je fais des signes avec mes mains mais sans succès, le zodiac est déjà à la sortie du port et en quelques secondes je le perds de vue complètement. Je rejoins Julie « Eh… papa est parti au bateau un instant. Viens, on va l’attendre à la station essence » je dis d’une voix posée en désignant le quai situé juste en face de l’entrée du port, un peu plus peuplé que le reste du village. Pendant que Kiki profite de la petite plage à coté et essai d’attraper les minuscules poissons se faufilant dans tous les sens, je scrute l’horizon en guettant une nouvelle apparition de mon mari. Enfin je le vois, et inspirée par un reflex primitif, je porte les deux doigts à ma bouche pour siffler un bon coup. Le bruit déchire le silence tel une explosion et toutes les têtes, sauf celle de Patrick, se tournent vers nous avec étonnement. Julie gémis « Mais maman, c’est la honte… » C’est vrai que je n’ai pas trop réfléchi, et pour rattraper ce qui reste de ma dignité, j’ajuste mon débardeur, en levant ma main, comme la miss France qui salue la foule, pour faire un signe plus élégant… « Patrick, Patrick !». Cette fois il nous remarque et dirige le zodiac dans notre direction. « J’ai oublié mes papiers » s’explique-t-il, une fois à terre. « J’en ai encore pour 5 minutes avec les carabinieri et après on se trouve un bon resto, d’accord ?» Bien sûr qu’on est partantes. Le restaurant, surtout en Italie, ça ne se refuse pas.
Après un tour de reconnaissance plutôt rapide, on choisit une petite cabane assez rigolote, servi par deux jeunes. Je ne pas trop faim et je me satisfais de la version locale de melon jambon, tandis que Patrick et Julie optent pour des pâtes. Notre petite Miss Catastrophe adorée est au sommet de sa forme : les pâtes à la belle sauce tomate faite maison, ont une escale obligatoire entre l’assiette et la bouche de Julie sur la magnifique nappe en lin blanc. Par un phénomène mystérieux et peu importe les efforts de Julie, la gravité attire les « pasta alla pomodore » en laissant des énormes tâches orangés, que notre fille tente en vain d’effacer avec sa serviette, également en lin. « C’est pas très grave » on rassure Julie en ajoutant quand même un petit extra au pourboire, une fois le repas terminé. « Mais pose ta serviette un peu plus au milieu, pour atténuer l’effroi du serveur, s’il te plaît ».
Le ventre plein, la tête reposée et l’adresse de livraison en main, Patrick peut enfin appeler le fabricant de notre guindeau. La conversation en anglais est plutôt animée mais sa conclusion n’est pas encourageante : le modèle de notre guindeau n’existe plus et ça prendrai au moins deux – trois semaines pour le fabriquer. On reste un petit moment complètement abasourdis par la nouvelle, avant de rentrer au bateau. « Bon » déclare Patrick une fois à bord, « de toute façon c’est le week-end et on ne trouvera pas de solution avant lundi. On n’a qu’à continuer comme ça pour l’instant ». C’est vrai que nos choix sont plutôt réduits : ou on s’accroche en musclant nos bras ou on rentre à Port Fréjus en pleurant que nos vacances sont finis précocement à cause d’une panne… Bien sûr on décide de rester…
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