Samedi 11 juillet 2015
Samedi matin Patrick trouve une nouvelle technique pour remonter l’ancre : en se servant de deux bouts avec mousquetons, on arrive à tirer la chaîne sur le pont à l’aide du winch du mât. Pas très conventionnelle la solution, mais elle a l’air de marcher. En quelques minutes l’ancre est bien attachée dans son daviers et la totalité de la chaîne gentiment posée sur le teck de notre pont avant, en attendant que je la range au fond de la baille à mouillage. On peut partir. Le petit vent nous permet de déployer le gennaker et on longe la côte italienne, passant devant Civitavecchia, le port principal desservant Rome. Notre destination pour ce soir : Santa Marinella, un petit port abrité du vent et de la houle, au sud de Rome.
On mouille comme des pros juste devant l’entrée au port et on part pour une balade découverte habituelle. La marina est magnifique et pleine de charme mais on suit les autochtones, qui se dirigent tous vers une petite rue derrière, menant au village. Agréablement bruyante, la place principale grouille du monde, assis sur les terrasses des bars, restaurants et pizzerias. Il est déjà assez tard et pour la moindre place il faut attendre quelques dizaines de minutes, alors découragés on rentre au bateau pour allumer le four et faire cuire nos deux petites pizza sous-vides. Demain on mangera mieux.
Au petit matin on se réveille avec le vent et comme un voilier est censé de se propulser majoritairement par la force du vent dans le voiles, Patrick décide d’en profiter au maximum. Nous naviguons toujours vers le sud, poussés par quelques 25 N du vent de travers, mais surtout avec de grandes vagues de trois quarts arrière, nous ballottant dans tous les sens. Forcement je ne me sens pas très bien et à moitié endormi, car je ne suis capable ni de lire ni d’écrire, je comate en attendant la prochaine escale, qui, comme par un mauvais sort, ne veut pas s’approcher. Pourtant le reste de l’équipage a l’air plutôt occupé : Patrick bricole sur son ordinateur assis à la table à carte, Julie prépare une nouvelle improvisation sur le thème de « Cup Song » en faisant énormément du bruit avec son gobelet et le tapage des mains et Kiki dort paisiblement sur la plage arrière. Moi, je comate…
Pendant un bon moment on longe l’aéroport de Fumicino, ou plus officiellement : l’aéroport international de Rome. Le va et vient des avions est impressionnant. Toutes les 30 secondes un avion atterrit ou décolle en passant en dessus de nos têtes, en brassant les cultures, les gens, les destinations et les rêves. Autant des nouveaux endroits à découvrir à rêver… Commençons par ici et maintenant…
Notre destination finale pour aujourd’hui, la ville d’Anzio, apparaît enfin devant nos yeux fatigués et malgré les 10 heures de navigation plutôt pénible, au moins en ce qui me concerne, on a du mal à trouver ce décor charmant. Pour être plus précise c’est assez moche : les immeubles, les grues, les maisons délabrées… Mais c’est toujours mieux que la mer avec sa houle déchaînée… On mouille devant le port, dans la lignée de quelques autres navires qui ont trouvé ce spot touristique de renommé avant nous. Toujours en mode manuel, mes mains deviennent toutes râpeuses à force de tirer la chaîne de la baille à mouillage. Mais la manœuvre est parfaite. On s’assoie dans le cockpit pour reprendre nos souffles quand, en nous faisant sursauter, Kiki se met à aboyer de toutes ses forces. C’est le grand zodiac de la Guardia Costiera qui vient d’accoster à notre bâbord. Il est trop difficile de transcrire exactement ce que ses gentils occupants viennent de nous dire, car je n’ai pas compris un seul mot, mais avec le langage universel des mains et l’intonation de certains mots on arrive à deviner, qu’on a mouillé au mauvais endroit, en plein passage des bateaux entrant au port. On n’est pas tout à fait d’accord, notre position ne nous semble pas gênante, mais malheureusement on manque de vocabulaire pour entrer dans le débat. (Soyons honnêtes : notre vocabulaire en italien se limite à bonjourno, grazie et aqua frizzante – difficilement de quoi tenir une conversation). Je fait à la place un signe de OK et on entame notre procédure habituelle de levée d’ancre. Les carabinieri du zodiac ont l’air un peu étonnés « Comment ça ? Un bateau aussi moderne et magnifique n’a que le guindeau manuel ? » semblent dire leurs yeux écarquilles. Ils demandent timidement « Va bene ? » comme s’ils avez intention de monter à bord pour nous aider.
« Ouais, ouais » je réponds en plein manœuvre, débout sur le morceau de chaîne que Patrick vient d’extirper de l’eau, pour l’empêcher de retomber pendant le changement des mousquetons.
Au bout de 15 minutes qui paraissent une éternité, ça y est, tout est sorti, bien rangé et prêt pour un nouvel essai. On fait un « tour à vide » en guise de reconnaissance puis Patrick ordonne
« Allez, envoie ! »
Nonchalamment, avec l’assurance des années d’expérience et toujours sous les yeux attentifs des carabinieri, je dévisse le guindeau, j’attache un bout vert qui va guider notre ancre, je la soulève pour libérer le mouillage et… et rien ne se passe… Zut, j’ai oublié d’enlever la sécurité. Notre ancre pendouille gaiement à quelque 30 cm en dessous du daviers.
« Encore un tour ! » je crie en direction du capitaine « On a fait un faux départ ».
Pour une fois le capitaine ne dit rien et simplement, sans commentaires, exécute ma requête.

Il y a même des touristes ici…
Une fois dans la ville d’Anzio, on découvre un certain caché à cet endroit, de l’apparence peu accueillant. Les rue piétonnes éclairées comme à Noël, les tout petits restos au bord du port… Nous suivons la masse de cette soirée dominicale, se dirigeant vers la place principale, pour en découvrir un lieu de vie commune assez jolie et surtout bien animé. Devant une magnifique fontaine, un couple d’acrobates se prépare pour un show digne de la soirée chez Patrick Sébastien. La fille, toute menue et avec les haltères accrochés à ses pieds, étire tous les membres de son corps, en me faisant du mal juste en la regardant. Le garçon, en position de l’arbre droit, sur les paumes de ses mains ou sur les avant-bras, garde parfaitement son équilibre durant plusieurs dizaines de secondes. Ils enchaînes ensuite quelques figures complexes, toujours en s’étirant dans tous les sens. Le spectacle s’annonce vraiment intéressant. Je peaufine les réglages de mon appareil photo tout en cherchant un point du vue idéal sur le couple, pendant que Patrick s’installe tranquillement sur un banc, Kiki à ses pieds, prêt pour le show. Les jeunes immergent leur mains dans de la talc, pour ne pas glisser, remettent droit la fine matte installée sur le sol, remettent à nouveau de la talc, avec les mouvements lents et précis. La petite foule rassemblée autour n’en peut plus, tellement l’envie de voir les numéros périlleux est immense.

L’échauffement…
Ça y est, après 20 minutes d’attente et de préparation, le spectacle commence enfin : au rythmes d’une musique plutôt moderne, les corps de deux athlètes s’entrelacent, pour des portées impressionnantes et des chutes contrôlées vertigineuses. Au bout de 2 minutes le garçon s’adresse au public « Grazie mille signoras e signoris... ». On se dit : « Ce n’est qu’une petite entracte », mais non. Il sort un mini chapeau et pendant que sa compagne range leurs affaires, il explique, ce qu’on devine grâce à la similitude des mots, que l’ambiance n’était pas assez chaude et festive, du coup ils préfèrent d’arrêter… On est plutôt déçus mais Patrick glisse quand même 50 centimes dans la main de Julie, pour qu’elle remercie les artistes furtifs et on continue notre exploration d’Anzio.
Un peu limités par le refus catégorique de Julie à manger les fruits de mer, on vérifie des rares menus affichés devant les restaurant, pour en trouver un qui conviendrait à toute la famille. Mais au bout d’une demi heure, et les multiples aller et retours, car le centre est beaucoup plus petit qu’il paraît à premier vue d’œil, on commence à se sentir frustrés et affamés. Julie fait un tilt sur la petite cabane au bord du port, du genre fast-food sans enseigne, tandis que Patrick s’engouffre dans une petite rouelle, pour y trouver un resto typique et dans son jus. Malgré les protestation de Julie, qui a chaud et voudrait manger dehors, on le suit à l’intérieur.
On nous fait asseoir à une table, sur laquelle apparaissent comme par magie une bouteille d’eau plate, une de gazeuse et un énorme pichet de vin blanc. Le serveur, apparemment pas habitué aux visiteurs étrangers arrive avec son petit bloc notes et attend, en nous fixant impatiemment. Sans une carte, ni même le menu du jour c’est assez difficile de se prononcer, mais je tente le coup :
« Una spaghetti à la bolognaise… »
Le serveur est catégorique : pas de bolognaise, uniquement les « pesci ». On est dans un restaurant spécialisé en poissons… Julie fait la moue en se plaignant à voix haute
« Je t’avais dit que mon resto était mieux… ».
Patrick se défend « Mais je n’ai pas vu ma chérie. Il n’y a rien écrit sur la porte »
« Mais il y a des énormes poissons dessinés de partout ! » s’énerve un peu trop Julie.
Le pauvre serveur ne comprend plus rien et moi, j’essaie de trouver quand même une solution.
« Una fileto di pesci ? » je demande timidement.
« E spaghettis nature et frito misto » rajoute Patrick.
Le serveur hoche la tête cette fois avant de repartir vers la cuisine, notre commande en main.
« Bon, on s’en est sortis pas mal » dit mon mari en trinquant nos verres rempli du vino bianco local.
Le goût du vinaigre déforme ma bouche dans une grimasse affreuse.
« Oh mince, c’est quoi ça ? » je réussi à articuler.
« C’est le vino de la casa » répond Patrick en savourant délicatement une gorgée du liquide légèrement jaunâtre.
Je retente l’expérience, cette fois avec un peu moins d’ampleur et je dois admettre, qu’une fois le choc passé, on arrive à s’habituer à l’acidité assez exceptionnelle de notre boisson.
Le serveur apparaît à nouveau, nos plats entre ses mains. Mon filet est en fait un gros poisson grillé tout entier, Julie a droit à une gargantuesque assiette creuse remplie de pâtes et les yeux de Patrick s’illuminent à la vue de son plat de petites fritures de la mer. Je dois avouer que mon poisson est divinement bon et même Julie semble apprécier les vrais pasta à l’huile d’olive. Par contre on préfère ne pas tenter le diable avec le dessert. On demande la note et Patrick sort sa carte bleue pour régler notre repas. A nouveau la tête de serveur fait le signe de refus : pas de paiement par carte bleue, uniquement en cash. Je décèle un petit lueur de panique dans les yeux de mon mari : on est resté enclenchés en mode français, avec la carte et quelques pièces au fond de portefeuille. S’il faut sortir 100 € en liquide on est mal et vu le magnifique poisson que je viens de manger, le compte ne serai pas loin. Je vérifie rapidement l’état de mes sous quand la note arrive sur la table et Patrick se met à rire:
« Tu sais pour combien on a ? » me demande-il. « 25 €… »
J’adore l’Italie…
J’adore l’Italie
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