lundi 13 juillet 2015
La petite perle de la Méditerranée, l’île de Ponza, est un des endroits les plus charmants que j’ai pu visiter. Il y a quatre ans, après une nuit particulièrement pénible, riche en vent, les vagues et accidents avec les voiles (voir le blog précédent), durant laquelle j’ai rêvé d’une seule chose : de descendre et de répartir en Pologne, même à pieds, le pittoresque port de Ponza est devenu une sorte de symbole. C’était la récompense après l’effort : à première vue désertique, l’île a dévoilée progressivement les trésors de son architecture, de ses couleurs chatoyantes et de son quotidien plein de bruit et de vie. Une vraie baume pour nos yeux et nos âmes. Ce n’est pas étonnant alors que cette année, en panne de guindeau et un peu à court de solutions, on décide de revenir à Ponza en quête d’inspiration et du répit.
Étant située seulement à quelques 25 NM d’Anzio, la traversée vers Ponza ne prend pas beaucoup de temps, et bientôt il est temps de ranger les voiles pour traverser au moteur le passage un peu délicat entre la pointe nord de Ponza et l’île de Zanonne. Le port principal de l’île se dessine sous nos yeux, encore un peu lointain, mais déjà attirant par le souvenir des odeurs, des goûts et des paysages. Avec l’arrivée de la soirée, le mouillage commence à se remplir, mais on n’a pas de mal à trouver une bonne place, stratégiquement la plus proche du port. On lance l’habituelle manœuvre de mouillage, effectuée à présent presque les yeux fermés, j’attache le bout vert lié à l’ancre sur le pont et on est prêts pour une petite glace dans les îles Pontines.
En Italie, mais surtout dans les îles, un de plus grands problèmes est lié à l’endroit d’accostage du zodiac. Le port de Ponza, dépourvu complètement d’un ponton d’accueil officiel, n’est pas une exception, mais en plus, les autorités ici ont la fâcheuse tendance d’attendre en nous regardant amarrer notre embarcation, sortir tout le petit monde et son équipement sur le quai, enfiler nos tongs et enlever la poussière de nos vêtements, salis pendant l’escalade du quai, pour ensuite nous lancer « Vous ne pouvez pas rester ici ! ». Assez prévoyants et conscients de ces difficultés, on fait trois tours du port avant de trouver un endroit idéal. Une petite gendarmette nous regarde, l’air faussement ignorant, nous battre pendant cinq minutes avec le vent qui pousse le zodiac sur les rochers. Au moment où, énervée, je me redresse enfin sur le quai, avec le short complètement trempé, que j’essaie de cacher sous mon t-shirt, elle s’avance d’un pas vers moi et avec un sourire malicieux, secoue son index de droit à gauche « Non possibile ».
Je pète les plombs « Vous ne pouviez pas nous le dire avant ? » je m’écrie en français.
Mais toute stoïque, et pas du tout fâchée par mon excès de colère, la petite dame répète tel un perroquet « Non possibile ».
« Et où est-ce que c’est possible ? » essais un peu plus diplomatiquement Patrick en s’approchant de nous.
« Non è possibile qui » répond la femme.
Je pense que notre conversation ne va pas décoller…

On se gare où?
On repart vers la plage et en manœuvrant habillement entre des dizaines et dizaines des petits bateaux amarrés à la façon italienne, à la bouée en plein mer, nous nous échouons tranquillement sur la minuscule plage au fond de la baie. Très peu fréquentée par les touristes, et en plus en fin d’après-midi, personne ne nous empêche de sortir l’annexe sur le sable, toujours brûlant, et de l’attacher au gros bloc taillé dans la roche. Quelques marches d’escaliers plus haut, nous nous fondons dans la foule de touristes « normaux », épatés par la beauté et l’ambiance chaleureuse de la ville.

Le port de Ponza dans toute sa splendeur
Nous décidons de fêter notre retour sur Ponza dans un petit resto, un peu à l’écart du principal axe commercial du port. Deux jeunes, très sérieux et étonnamment professionnels, nous servent deux spaghettis alla vongole et les habituelles pâtes à la sauce tomate maison pour Julie. Et là, en attendant notre commande autour d’un pichet de blanc, étonnamment délicieux et sous la lumière tamisée d’une bougie, Patrick trouve la solution.
« Je sais » s’écrie-t-il « Je ne vais pas commander un guindeau entier, qui prendrait un mois à être fabriqué, mais juste le moteur. Ils doivent les avoir en stock et avec un peu de chance on pourrait le recevoir d’ici un jour ou deux… »
« C’est génial » je réponds avec beaucoup d’enthousiasme avant d’ajouter avec une petite graine de scepticisme « mais est-ce que le moteur seul suffit pour réparer le guindeau ? »
« Ce n’est pas une solution définitive, c’est sûr, mais ça devrait tenir au moins jusqu’à la fin de l’été » me rassure mon époux.
C’est une nouvelle assez encourageante et la soirée continue dans une ambiance beaucoup plus détendue, au point de me retrouver toute pompette dans le zodiac, à dessiner des gribouillis dans le ciel nocturne du mouillage avec le faisceau lumineux de mon téléphone portable, en guise de torche.

Le port vu de notre mouillage
Le lendemain matin nous dirigeons nos pas vers le bureau officiel de la poste de Ponza. Utilisant la vielle astuce, datant encore de notre séjour en Grèce, Patrick demande aux employés la permission de nous faire livrer un objet en « Poste Restante » – le terme signifiant qu’on utiliserait le bureau de poste en tant qu’une boîte postale. Ayant obtenu le feu vert, et tout fier que son plan marche à merveille, il appelle le fabricant du guindeau pour finaliser notre affaire.
« J’ai pris une livraison express » annonce-t-il une fois la communication coupée. « On va recevoir la pièce demain »
« Ouais !!! » on s’époumone avec Julie.
Enfin la galère du mode manuel de mouillage laissera place à la version pleinement électrifiée…
En attendant l’élément manquant du guindeau, on décide de profiter à fond de notre séjour sur Ponza et on loue une voiture pour revisiter l’île de fond en comble. Après notre parcours d’il y a 4 ans, j’ai uniquement une exigence : que tous les sièges soient dans le même sens, face à la route… (et oui, ce n’est pas le cas des voiturettes électriques de golf, dont on a fait la connaissance durant notre dernière visite de Ponza, où je failli de débarquer en dévalant la côte à chaque montée…) Notre véhicule du jour est une magnifique Mahari, jaune-orangée de la tête aux pieds (littéralement tout est uniformément peint, allant jusqu’au cadrans de vitesse – apparemment inutiles ici). Les portes sont absentes, pour gagner de la place en se garant, je présume, et le toit est cabossé en souvenir de toutes les aventures, plus ou moins drôles, de ses passagers antérieurs. Patrick est plus que ravi :
« Tu t’imagines ? » s’exclame t-il tout extasié « cette voiture c’est ma jeunesse. C’est comme si j’avais à nouveau 18 ans… ».
La propriétaire du stand de location est amusée par l’enthousiasme de mon mari, et me lance un coup d’œil complice « Ces hommes et leurs voitures… ». Son collègue sort la voiture de son emplacement habituel, devant la grotte, où sont garées ses copines, et nous la conduit de l’autre coté de la route, prête pour le voyage. Il s’attarde quelques secondes pour donner à Patrick les derniers conseils d’utilisation de ce joujou, mais mon mari le stop net avec sa main:
« Monsieur, je connais parfaitement bien cette voiture. J’en avait une moi même… » Ajoute-il avec une note de mélancolie dans la voix.
Puis, il pose ses mains sur le volant, sentant sans doute la puissante énergie de ce 2 cylindres… On patiente respectueusement que Patrick, accroché au volant, se mémorise toutes les aventures de sa jeunesse à bord de ce bolide, quand le loueur, esquivant un petit sourire de vainqueur s’approche de notre véhicule, toujours à l’arrêt, pour tourner la clé et démarrer le moteur
« Celle-ci n’est sûrement pas aussi silencieuse que la votre… »
Ces hommes et leurs voitures…
On part en vrombissant et crissant les pneus sur le bitume caillouteux et en quelques instants seulement on se trouve projetés dans les hauteurs de l’île. Les paysages sont à couper le souffle, nous offrant un délicieux mélange de verdure fusionnée aux couleurs éblouissantes des bougainvilliers, du bleu azur de la mer et de brun-rougeâtre des rochers. La seule difficulté consiste à trouver les endroits sûrs pour s’arrêter afin de mitrailler ces merveilles, car la façon de conduire des autochtones, n’aspire guerre la confiance. Ils laissent descendre leurs mini camionnettes ultra étroites, et souvent extrêmement chargés dans l’axe vertical, parfaitement au milieu de la chaussé, pour assener un coup de volant très rapide et violent, juste avant la collision, faisant tanguer dangereusement la cargaison de la benne. Entre ça et la conduite « à fond les manivelles » de Patrick, je suis toute crispée, en essayant de me retenir sur mon siège, agrippée à deux mains au toit du véhicule. Méfiante plutôt envers le système ABS (ou sa manque) de notre voiture, que des capacités de pilote de F1 de Patrick, je m’éclipse à quelques reprises, aux moments des descentes vertigineuses ou des montées improbables du point de vue gravitationnel, sous prétexte de prendre des clichés uniques, magnifiques, réalisable uniquement à pied… Et à chaque fois, je m’incline étonnée devant les capacités insoupçonnables de la petite Mehari, à franchir tous les obstacles avec le même ronronnement diabolique provenant de dessous le capot.
N’ayant pas beaucoup d’occasions pour dévier de la seule route traversant l’île de Ponza, si on ne compte les petits chemins menant à la mer, ou s’arrêtant d’une façon bien énigmatique strictement nul part, nous arrivons à La Forno, « le four » comme je me le traduit inspirée par les conditions climatiques de l’endroit. Petit village, tout dans la longueur, avec une église, les voitures garées devant l’unique magasin, barrant la route du bus et une dizaine d’autres automobilistes, qui patientent tranquillement en encourageant d’une manière très poli la personne responsable du bouchon à se dépêcher… Nous nous garons à notre tour et partons à la découverte, loin de chemins battus par les centaines de touristes. Dans un recoin du village on trouve notre bonheur : une maison toute blanche avec une pancarte sur le toit, indiquant qu’on peut y trouver de quoi calmer nos estomacs gargouillant d’impatience. On contourne le bâtiment pour découvrir de l’autre côté une magnifique terrasse ombragée par les feuilles des arbres et des vignes grimpants, offrant un panorama spectaculaire sur toute une partie de l’île, la mer y comprise. Deux tables sont déjà occupées par les Italiens apparemment familiers du lieu, ce qui nous confirme qu’on a choisi une bonne adresse. Et on n’est pas déçus : un serveur drôle, attachant et très sympathique nous accueille avec un pichet de blanc de sa fabrication personnelle et nous présente une carte remarquablement riche et variée. Il prend même soin de Kiki, pourtant pas très présentable à ce moment à cause de son passage rapide entre les eaux cristallines de la mer et la terre poussiéreuse de la route, et change le contenu de son petit bol, pour de l’eau bien fraîche. On est bien conscients que les moments comme ça, s’appellent le bonheur…

Les magnifiques baies et anses de Ponza
Ventres pleins et les têtes délicieusement légères, on repart en quête d’un endroit pour nous rafraîchir. On arrivant vers la Forno, nous avons aperçus le serpentin d’un petit chemin en terre battue, menant directement vers une magnifique crique, remplit par les eaux limpides et entourée par des rochers. Patrick prend le virage et fonce en écrasant la pédale du gaz, jusqu’à ce que nos voix deviennent complètement saccadées par le tremblement effrayant du véhicule. De toute façon cela ne fait rien car avec le bruit d’un avion de chasse, on n’aurait rien entendu de nos paroles. Au lieu de discuter, Patrick sourit à grandes dents, accroché de toutes ses forces au volant, la tête dans le pare-brise. Je reste un poil moins enthousiaste, vu que ces machines d’un autre monde, dépassent largement l’époque de ma jeunesse à moi, et la confiance que je leur accorde est plutôt limitée. Julie et Kiki, assises l’une à coté de l’autre sur le siège derrière, se laissent bercer par les mouvements brusques et imprévisibles du véhicule, en arborant un sourire amusé et béat (en ce qui concerne Julie au moins. Kiki respire rapidement la gueule grand ouverte, en écartant ses pattes pour ne pas tomber). Brusquement un coup de freins nous sort de la léthargie : la route se finie dans un cul de sac, devant le portail d’un garage pour les bateaux. Il faut maintenant dévaler la ponte dans le sens inverse, heureusement avec un peu moins d’entrain et de vitesse. On essai un autre chemin, pour arriver cette fois ci dans une splendide crique, aux eaux turquoises et incroyablement chaudes, …. remplies d’oursins… Mais rien ne nous arrête et slalomant entre les trous avec les petits échinodermes à piques, on profite de la baignade pour digérer nos repas et détendre les muscles. Oh que c’est formidable les vacances !
Épuisés, mais absolument enchantés par notre exploration à bord de Mehari, il nous tarde de retrouver le cockpit douillet de notre fidèle voilier. On descend sur la plage et on remet toutes nos affaires dans le zodiac. Même Kiki n’a plus tellement envie de patauger dans l’eau chaude et peu profonde de la plage. On attrape l’annexe de chaque coté, on le soulève et on tire en direction de la mer. Son poids me paraît soudainement quadruplé. Elle m’échappe des mains, déclenchant une série de jurons de Patrick.
« Mais tire, bon sang » m’encourage-t-il à sa façon, sous le regard curieux des passants, visiblement amusés.
On renouvelle notre effort avec toutes les forces qui nous restent et comme les ressorts bien synchronisés on revient en position initiale avant de pouffer de rire : on a oublié de détacher le zodiac du rocher. On pouvait forcer autant qu’on voulait… Eh oui, les vacances, ça fatigue les neurones…
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